Un phare sur l’océan

-Essai-

Sébastien Stéphane MASNADA 

– 2009 –

Açores 2019.

Voici Hector, un marin au long court affable et souriant, qui poursuit sa promenade matinale en direction du vieux port. L’air est humide ce matin et le phare de Ribera, bercé par la houle, semble danser sur les lames de l’océan. La canne grise soutient la marche cahoteuse du vieil homme et guide ses pas silencieux vers son fidèle bateau transporteur. 

Il y a longtemps qu’il ne prend plus la mer et à l’aube de ses cent ans il ne saurait sans doute plus comment faire tourner cette coquille de noix. Cette vision du grand large est toujours aussi présente dans son cœur et ces vagues ondulantes quicaressent son modeste navire marchand lui rappellent de jolies pensées enfouies dans sa mémoire. Le bateau est resté à quai mais les souvenirs naviguent à jamais, tourbillonnants au- dessus de cet océan agité. Il n’est pas sept heures. Le port est encore tranquille. Les hortensias viennent ici et là nous rappeler que cette nature est belle et majestueuse. Ici, l’homme est en harmonie avec ce qu’il y a de plus vrai, dans ce qu’il a de plus beau. Hector a toujours su qu’il vivait sur un site privilégié et malgré tous ces voyages autour des mers, toutes ses aventures aux quatre coins des terres, il savait qu’il reviendrait finir ses jours à San Miguel. L’homme aime s’asseoir sur son banc face à l’immensité de l’océan pour tâcher d’en retrouver son propre bleu infini. C’est son moment de grâce qu’il partage avec sa mélancolie du passé. Sur l’embarcadère, d’autres fiers navires accolés au sien sautillent à la moindre secousse et viennent frotter la coque de son fidèle Belvédère. Il vient chaque jour de ce côté ci de l’océan pour tenter de replonger au plus profond de son être afin que rejaillissent les meilleurs moments de son avoir. A travers ces étincelles nostalgiques, Hector fait le lien entre ce passé heureux, comme figé au cœur de l’océan et ce présent en suspens, propice à toutes formes d’interprétations. Ce doux rêveur à l’imagination abondante allait une fois de plus se perdre dans les méandres de son âme en empruntant les fantaisies audacieuses de l’enfant inspiré qu’il a était. A travers l’itinéraire de sa vie, nous allons être les invités privilégiés de ses voyages et les témoins informés de ses pensées. Nous le suivrons à travers ce chemin initiatique, quasi hypnotique, balisé par des souvenirs fragmentés et des fantasmes inachevés… Alors, laissons donc Hector hisser la grande voile de ses inspirations et découvrons ensemble les histoires qu’il aura eu vent de nous faire partager aujourd’hui… 


Note sur la Police de Caractère :

en italique : pensées d’Hector dans la période vécue (exemple « La fille de l’inca » : 1949)

en italique gras : pensées d’Hector devant le phare (2019)

en normal : narration (nouvelles écrites en 2009)


La fille de l’Inca 

C’est le premier jour de l’hiver de ce côté-ci de l’hémisphère. 

De l’autre, mon cerveau reste à demi éveillé… Déclinant mes souvenirs dans leurs moindres détails… Avec un œil pointé sur le phare… Un point d’ancrage. Une raison. Un vague équilibre au creux de l’océan. Il est des journées qui demeurent gravées à jamais. Je me souviens particulièrement de celles-là. J’avais une vingtaine d’années quand j’ai décidé d’entreprendre ce premier long voyage à bord de mon bateau. C’était un mois de juin 49… 

Auberge du Grand Condor. Cuzco. 

A travers mes jumelles, je viens de dévisager les Andes sous toutes leurs formes. Le col long, en place, et le port altier engagé, je relève ma boîte à maux chevelue pour ne pas perdre le coup, ni feindre de baisser la tête devant son éminence. Rien ne semble pouvoir entraver mon appétit et ma flamme d’explorateur après toutes ces années de disette et de couvre-feu. Ces années de guerre avaient bel et bien contribué à ma déformation mais il était tant d’oublier ce passé peu glorieux en changeant la barre de direction. Désormais, cette cité mirifique est à ma portée et c’est le plus important à mes yeux… 

Pour parer à toutes les éventualités, je prenais des notes riches en crayonnant les grandes lignes de mon expédition dans un carnet de fortune. Le lendemain à l’aube, j’allais pouvoir commencer l’ascension et répondre favorablement à l’appel de mon corps impatient. 

Après avoir fixé solidement les crampons de mes chaussures, je suis en train d’ajuster consciencieusement mon sac à dos, assis sur le rebord de mon lit… 

Dans cette modeste chambre, une imposante horloge orne l’espace. Les murs sont glacés mais l’ambiance y est feutrée. Le sol est verni, à la limite du praticable. Le rideau rouge est tiré. L’éclairage en clair obscur. 

Un faux plafond est soutenu par des colonnes en déclin. La voûte principale semble perdre aussi ses rares points d’intérêts et menace de s’écrouler sur la scène. 

« Les endroits comme celui-ci ne sont pas légion ! Ce n’est pas un hasard si je me suis retrouvé ici » pensai-je avec raison. Je n’aurais pas déserté mon passé pour rien. Ce lieu était sans doute le meilleur des ralliements. 

Sur la porte du placard de location des cafards maquillent l’enseigne de l’auberge à l’effigie d’un géant ailé. L’intérieur du garde costumes en est tout aussi infesté mais ils étaient là bien avant Hector. 

Je prends mon mal en patience en regardant à travers cette fenêtre qui donne sur le plus beau des spectacles : la cordillère des Andes au soleil couchant… Je me revois tenir une carte entre les mains. Mon appareil photo n’est pas très loin. Posé, là, sur la chaise marine. Je suis en train de surligner de rouge l’itinéraire que je dois emprunter… Et puis, quelqu’un vient frapper à ma porte. 

Un jeune homme fluet à la mine réjouie se présente devant moi en me tendant un plateau de provisions. Il me lance : « …galletas y bebida, senor ! chocolate caliente… esta muy bueno… sin duda, el mejor de todo el pais ! esta para usted! Tome! » 

Je ne sais pas si le chocolat chaud que m’avait préparé ce chef était réellement le meilleur de tout le pays mais il est vrai que son subtil fumet se porta délicieusement à mes narines. Et, après en avoir avalé une gorgée, je ne pouvais qu’opiner en son sens.

« ya esta, senor ? esta listo para la montana, verdad? » continua t-il. 

Oui, j’étais prêt pour la grande ascension. Prêt à gravir « La montagne », comme ils l’appelaient familièrement là- bas. J’allais pouvoir gravir le sommet du Machu Pichu et être au plus près de cette cité perdue. Mon hôte, Esteban, me souhaita bonne continuation puis il retourna à ses occupations.

Un jour avant, je suis en train de vagabonder dans les rues de Callao. J’ai laissé mon « Belvédère » au dépôt de la Bingham compagnie. Mon premier chargement a été livré… Je me souviens de cet océan agité.

De la longue traversée. Du canal de Panama. De mon inexpérience. De l’instant précis où j’ai failli perdre la vie. De ces récifs dangereux.

De cette escale éprouvante à Kourou. Du remorquage à Barranquilla… Je n’ai rien oublié… 

Le soleil ne s’est pas encore levé à Cuzco. Aujourd’hui, je me suis réveillé de bonne heure. C’est le grand départ. J’ai fini mon inventaire. 

Je vais pouvoir sortir. Marcher sans lendemain. Trotter dans ces vastes contrées isolées avec l’insouciance de ma jeunesse comme seule alliée. Cette montagne me fait face. Elle reste mon seul objectif. Je file au gré du vent, je défie les aiguilles du temps, avec une seule idée en tête… 

Paris. Deux années ont passé depuis cette expédition péruvienne. Hector est dans son appartement. Le lit est défait. Le frigo est encore vide. Tout est blanc. Désespérément éclatant. Il se tient la tête à deux mains. Chaska se tient près de lui. Elle lui chuchote des jolis mots à l’oreille. Ce dimanche est ensoleillé. Ils marchent ensemble sur les bords de la Seine. Elle lui prend la main. En retour, il lui donne un baiser… 

Je poursuis ma marche en avant tout en gardant un œil sur le chemin parcouru. Le sommet n’est plus qu’une vague question de temps. C’est bien ce que j’avais envisagé, ce panorama est magnifique : 

Cette première vue est un instantané mémorable. Mais je ne suis pas seul ? D’autres sont déjà là ! Trois explorateurs endimanchés me tournent le dos. L’un d’entre eux vient finalement dans ma direction, sans doute pour me parler. Je ne comprends pas sa langue. 

Elle me semble pourtant familière mais je n’en saisis pas un traître mot. Il me pointe du doigt un autre versant de la cordillère. Peut-être se dirigent-ils là-bas ? L’ensemble est trop flou… je ne sais pas… 

Ils repartent de leur côté. Je ne les vois déjà plus. Ce ne sont plus que des fourmis qui s’éloignent au lointain… Je touche au but. J’aperçois déjà le cadran solaire qui trône au cœur de la cité. Je laisse tomber mon sac. Prendre des photos. Sortir ma gourde pour m’hydrater. Boire encore et encore… et puis cette lumière qui m’aveugle ! Qu’est ce donc ? Elle me suit depuis le début de mon ascension… Son éclat est de plus en plus fort. Graduel. Dérangeant… Je ne peux plus avancer. J’ai mal aux yeux… mal… ma tête va exploser… Je suis tétanisé… mais… qu’est ce que c’est ? Quelque chose vient vers moi ! 

Ils remontent la Seine. Regardent dans la même direction. Chaska sort des lunettes noires de son sac à main. Ils vont prendre un café. Ils semblent bien ensemble. Elle lui rappelle leur histoire. Celle ou ils n’étaient encore que des étrangers, l’un pour l’autre. Il la regarde, sans mots dire. A peine sont-ils entrés dans l’établissement qu’une serveuse renverse son service sur le carrelage. Son patron ne semble guère apprécier ce geste malencontreux et se charge de lui faire savoir. La jeune fille relève la tête en même temps que le reste de son corps et observe Hector fixement… Ce dernier croit aussi la connaître. Il détourne son regard afin de ne pas embarrasser Chaska. 

Depuis la vallée des incas, je pense d’abord apercevoir un astre mais je découvre finalement un prodige…

Vous voulez terminer la lecture d’ « un phare sur l’océan » et découvrir mes autres nouvelles ? Merci beaucoup pour votre intérêt ! N’hésitez pas à m’écrire !

Sébastien M.

Auteur : L'Atelier du Film

Professionnel de l'image et du son depuis 2001, je propose des contenus audiovisuels dans les secteurs institutionnel, corporate et événementiel.

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